Révélée au public le 14 février 2008, avec la perquisition du domicile de Klaus Zumwinkel, jusque là PDG de la Deutsche Post, l’affaire dite Liechtenstein II occupe le paysage médiatique allemand. Au centre de ces révélations se trouvent les grandes figures du journalisme d’investigation allemand, le journaliste Hans Leyendecker de la Süddeutsche Zeitung (SZ) et l’hebdomadaire Der Spiegel. Face à des informations incertaines, voire contradictoires, les journaux allemands soulignent la place de l’incertitude et vont jusqu’à qualifier l’affaire de ‘roman policier’.
Le contexte : l’évasion fiscale au Liechtenstein
Le droit liechtensteinois des fondations facilite l’évasion fiscale.
Les ‘Stiftungen’, fondations locales de droit liechtensteinois permettent au ‘fondateur’ de garder l’anonymat. Imposées à hauteur forfaitaire annuelle de 635 euros, ces fondations peuvent être dissoutes à tout moment. Pour ces raisons, le ministère public allemand considère que le système des fondations « a visiblement pour seul but la fraude fiscale »1.
La confrontation entre les deux pays a son origine dans l’affaire dite Liechtenstein I.
Connue sous le nom ‘Liechtenstein I’ ou bien ‘affaire Batliner’, cette affaire à la suite d’une dénonciation avait permis à l’administration allemande en 1997 de découvrir des fraudes fiscales. Ce scandale avait entraîné de la part du Liechtenstein des premières réformes de son système bancaire afin de contrer le crime organisé.
L’affaire Liechtenstein II a été déclenchée par un informateur liechtensteinois.
Selon la Liechtenstein Global Trust (LGT) et Der Spiegel, les informations sur l’évasion fiscale par l’intermédiaire de la LGT ont été vendues par Heinrich Kieber à l’équivalent allemand de la DST, le BND (Bundesnachrichtendienst). L’ancien employé de la LGT était en 2001 et 2002 chargé de la digitalisation des archives. Ayant réalisé des copies illégales, il a vainement tenté de faire chanter la LGT. Selon Der Spiegel M. Kieber a en 2007 vendu des copies des listings de contribuables concernés aux Etats-Unis et au Royaume-Uni.2 Contacté par lui en janvier 2006, le BND, pour le compte de l’administration fiscale, en contrepartie des informations, lui a versé la somme de 4,6 millions d’euros et lui a procuré une nouvelle identité. Par ailleurs, l’administration est en possession de données dont on ignore la source, d’au moins une autre banque liechtensteinoise.3
Les circonstances particulières de l’obtention des informations ont donné lieu à de vives controverses.4 Quatre avocats allemands ont porté plainte contre le BND pour infraction au secret fiscal. Toutefois, et contrairement au droit américain (« fruit of the poisonous tree-doctrine »), le droit allemand, selon les expertises les plus récents, considère que ces circonstances ne s’opposent pas à l’utilisation des données par l’enquête.5
L’enquête menée par les investigateurs de Liechtenstein I prend de l’ampleur
Les autorités des Länder sont compétentes et ont chargé la NRW de l’investigation.
En Allemagne, la compétence en matière de lutte contre la fraude fiscale revient aux Länder. Etant donné le niveau d’expertise des autorités fiscales de la Rhénanie du Nord Westphalie (NRW), chargées de l’enquête Liechtenstein I, celles-ci sont de nouveau chef de file.6 Le Parquet de Bochum conduit des investigations avec l’aide d’autres procureurs, divers services d’investigation en fraude fiscale de la NRW et la police judiciaire d’Essen.
Les enquêtes concernent des particuliers ainsi que des employés de banques en RFA.
Menées depuis 2007, les enquêtes portent sur environ 600 à 700 contribuables.7 Selon des cercles proches du gouvernement, la fraude pourrait porter sur un montant total de 3,4 milliards d’euros.
L’affaire semble concerner un certain nombre de notables, dont des anciens députés ; Klaus Zumwinkel a été contraint à la démission et Karl Betzl, commissaire chargé de la protection des données du Land de Bavière, a été suspendu de ses fonctions suite à une perquisition à son domicile.
Depuis le 18 février, l’administration fiscale a perquisitionné des banques, dont Metzler, Dresdner Bank et UBS, dont des employés sont soupçonnés d’avoir contribué aux fraudes.
Les chiffres précités n’ont pas encore fait objet d’une confirmation officielle. Le procureur de la République a confirmé que les investigations se révélaient fructueuses. Jusqu’à présent, elles ont rapporté des rappels à hauteur de 27,8 millions d’euros.8
Les répercussions : au-delà du débat socio-politique allemand, au niveau européen un durcissement de la lutte contre la fraude fiscale fait l’objet d’un débat
L’Allemagne discute son modèle social.
L’affaire intervient à un moment où le débat sur l’impact social des reformes économiques récentes touchant les plus défavorisés, face à des salaires des dirigeants perçus par certains comme disproportionnés, est à l’ordre du jour. Cela explique notamment l’importance des réflexions actuelles sur ‘l’immoralité de la fraude fiscale’ (‘Steuermoral’).
Des réactions internationales diverses.
Le Liechtenstein et d’autres paradis fiscaux se sentent concernés.
La famille princière étant propriétaire de la LGT, le Liechtenstein est directement concerné par les accusations de l’Allemagne de faire preuve de mauvaise volonté à coopérer. Le prince héritier Alois du Liechtenstein dénonce une ‘attaque massive’ contre son pays et annonce qu’il engagera des recours en justice.9 Die Welt parle d’une crise d’Etat.10 La visite officielle du Chef du gouvernement et Ministre des finances du Liechtenstein Otmar Hasler à Berlin, le 20 février, en vue de la ratification de l’adhésion de son pays à l’espace Schengen par l’Allemagne, a néanmoins donné lieu à des promesses de réforme.
La presse suisse craint la remise en cause du secret bancaire.11 Le rédacteur en chef de l’hebdomadaire Die Weltwoche dénonce la ‘fatwa d’un système fiscal fondamentaliste’.
A l’exception du Danemark, des pays concernés par la fraude sont intéressés par les informations allemandes, voire par une démarche collective.
L’Allemagne envisage une démarche internationalement concertée pour contrer la fraude fiscale. Pourtant, la tentative de M. Steinbrück, lors du Conseil Ecofin de mars 2008, d’élargir le champ d’application de la directive européenne concernant la taxation d’épargne a échoué.
Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ont commencé à enquêter en été 2007.12 Suède, Finlande et Norvège, les Pays-Bas, l’Italie et l’Australie ont annoncé leur intérêt, voire des enquêtes. En revanche, le Danemark se défend d’utiliser des données de ‘receleur’, une position critiquée par une partie de sa presse.13 En Espagne, la presse s’intéresse aux problématiques de blanchissement d’argent du trafique de drogue colombien. Aussi, selon El Pais, l’argent du scandale de corruption de Marbella, qui en 2006 avait contraint à la démission l’administration entière de cette station balnéaire de luxe, pourrait se trouver dans la principauté. El Mundo annonce que le listing allemand s’avère fructueux, mais que, en raison de la situation juridique, les administrations hésitent à engager des enquêtes.14
Laura GORES